La première réunion du club africain de discussion s’est tenue le 13 juin dans le centre de presse de l’agence des nouvelles « Le service public des nouvelles ». C’est la Fondation pour la défense des valeurs nationales qui a organisé l’évènement.
Le sujet de la première rencontre était la situation au Soudan. A partir du décembre 2018 des émeutes qui sont devenues la cause de la démission du chef de l’État Omar el-Béchir, poursuivent dans ce pays. Pendant la période de transition, le conseil formé par les représentants des forces armées a pris le pouvoir.
La discussion s’est concentrée autour des questions suivantes :
— les raisons du conflit au Soudan ;
— l’intervention des États étrangers dans les affaires intérieures soudanaises ;
— la situation socio-économique des Soudanais ;
— la coopération entre le Soudan et la Russie et les perspectives de son développement.
Il importe de souligner que le Club africain de discussion est une des plateformes peu nombreuses où un point de vue alternatif peut être présenté concernant les derniers évènements au Soudan ; la majorité absolue des médias du monde et des plateformes d’experts sont d’opinion unanime à l’égard de la situation actuelle au Soudan, en suivant l’axe de pensée politique de Washington et de Bruxelles. Le Club africain de discussion a permis aux partisans d’autres points de vue de s’exprimer.
Aleksandr Malkevitch, président de la Fondation pour la défense des valeurs nationales a joué le rôle de modérateur de la réunion. Les speakers ont été : l’ambassadeur russe au Soudan Nadir Yousif Eltayeb Babiker ; chef adjoint de la mission de l’Ambassade Omer Elfaroug Kamil ; politologue britannique Clifton Ellis ; membre du Conseil de la politique extérieure et de la défense, co-président du Conseil de la stratégie nationale, politologue Serguei Markov ; membre du Conseil d’administration de la Fondation pour la défense des valeurs nationales Mikhaïl Potepkine ; directeur du Centre des recherches sociologiques et politiques de l’Institut de l’Afrique de l’Académie des sciences de Russie Serguei Kostelianets ; membre de l’Association russe des sciences politiques Vladimir Chapovalov. Les représentants de l’entreprenariat ont également été bien représentés. Ainsi, le PDG de « Biokhimmash » Maksime Kartachov, associé dirigeant de Business Systems Consult Vladimir Babikov et le chef du département du commerce extérieure Ionov Transcontinental Nikita Komarov ont pris part à la discussion.
En ouvrant la réunion, Aleksandr Malkevitch a présenté aux participants le plan du travail du Club africain de discussion de court terme. Selon lui, les réunions du Club se tiendront mensuellement et chaque fois des représentants d’États africains au niveau d’ambassadeurs ou autres fonctionnaires seront invités aussi bien que des politologues et des journalistes russes. Lors des rencontres, des sujets pertinents globaux et régionaux seront discutés. Chaque fois, obligatoirement, la question de l’intervention dans les affaires intérieures africaines sera soulevée.
L’ambassadeur soudanais Nadir Yousif Eltayeb a touché à plusieurs sujets dans son allocution. Premièrement, il a soulevé la question de la couverture de la situation au Soudan par les médias russes. L’ambassadeur a regretté de noter que les informations sur les évènements dans le pays parvenaient aux journalistes russes par des personnes tierces et ces informations étaient souvent fortement fragmentées. La presse n’informe sur les évènements au Soudan qu’épisodiquement, c’est pourquoi l’audience est privée de l’image compréhensive de l’état des choses. L’ambassadeur a noté que les publications de la Fondation pour la défense des valeurs nationales représentaient une exception positive.
En deuxième lieu, l’ambassadeur a salué la dynamique du développement des contacts entre la Russie et le Soudan au cours des 5 derniers années, notamment dans le domaine économique : l’échange commercial entre les deux États a triplé durant cette période. Nadir Yousif Eltayeb Babiker a remarqué que la direction soudanaise espérait que l’année 2019 deviendrait une année particulière pour les relations entre Moscou et Khartoum. D’importantes attentes sont liées au sommet « Russie – Afrique » qui est prévu pour octobre 2019 à Sotchi. Lorsque le candidat d’études politiques Serguei Kostelianets a demandé au monsieur l’ambassadeur s’il trouvait possible que les relations entre le Soudan et la Russie prennent un caractère stratégique, celui-ci a répondu avec certitude que c’était tout à fait possible dans un avenir prévisible.
Troisièmement, l’ambassadeur a décrit, en termes généraux, la situation politique actuelle au Soudan. Comme la raison initiale du commencement des mouvements protestataires en décembre 2018, l’ambassadeur a nommé la croissance des prix sur le pain et l’essence et la frustration de la population par le niveau de corruption. L’arrivée des militaires au pouvoir en avril 2019 n’était pas un coup d’État, a souligné l’ambassadeur. Selon lui, l’armée a en effet pris le parti du peuple, commençant ainsi une nouvelle étape dans le développement du statut d’État du Soudan. Les représentants des forces armées prévoient transmettre le pouvoir aux civils et sont en train de mener les pourparlers avec l’opposition et l’intervention des forces extérieures ne fait que compliquer ce processus, pense le diplomate. L’ambassadeur s’est exprimé contre la décision de l’Union Africaine de suspendre l’adhésion du Soudan à l’organisation.
Monsieur Nadir Yousif Eltayeb Babiker a dénoncé les actions du gouvernement appuyant directement les participants de l’opposition. Il a remarqué que les actions des États-Unis et d’autres États étrangers mettaient non seulement en péril le statut d’État soudanais, mais empêchaient aussi les autorités de lutter contre le trafic d’êtres humains et d’armes, crimes haineux et violations des droits de l’homme. Selon l’ambassadeur, les actions des diplomates occidentaux continuent d’enfreindre la souveraineté soudanaise et sont peu différentes des épisodes d’intervention étrangère dans les affaires de Lybie et de l’Iraq.
Le politologue britannique Clifton Ellis a noté que les pays étrangers violaient souvent la souveraineté des pays africains. Le but des États-Unis et des pays occidentaux est d’exercer le contrôle sur les ressources ou le pouvoir politique des pays du « continent noir ». Au début, ils y arrivent grâce à de divers leviers : les sanctions, l’embargo et l’interdiction d’accès aux marchés financiers. Au cas où les élites politiques ne se soumettent pas à la pression, l’Occident commence à déstabiliser la situation à l’intérieur du pays. En même temps, un seul pays peut facilement devenir le terrain de confrontation d’intérêts de plusieurs États étrangers. Les organisations non-commerciales occidentales deviennent un des instruments principaux dans cette lutte. Étant en effet des structures indépendantes, elles protègent systématiquement les intérêts de certains pays de l’Ouest. Même les structures des Nations Unies jouent souvent le rôle d’un « levier » des États occidentaux.
La diversification des marchés financiers et des services de consultation pourrait, selon l’expert, limiter au moins en partie l’intervention occidentale dans les affaires africaines. L’augmentation de la présence des pays du BRICS en Afrique permettrait d’y parvenir, dans le cadre du bloc aussi bien que pour chaque pays en particulier.
Les participants ont écouté avec grande attention le discours de Michail Potepkine. Le membre du Conseil d’administration de la Fondation pour la défense des valeurs nationales a passé plus de 2,5 ans au Soudan, accordant des consultations à l’élite locale.
En parlant des raisons de la crise survenue dans la république, l’expert a porté attention à l’influence des sanctions américaines, de l’ampleur de l’économie souterraine au Soudan et de sa dette extérieure remontant à 50 milliards de dollars. Conformément à la législation locale, seuls les « banques islamiques » opèrent dans le pays. Celles-ci ne sont pas autorisées à imposer les intérêts sur les prêts, effectuer les ventes à terme avec options ou investir dans les « secteurs vicieux » (tels que la vente d’alcool ou de tabac). Les consultants politiques russes avaient présenté au président Omar el-Béchir des recommandations concrètes pour la solution des problèmes accumulés. Pourtant, l’ancien chef de l’État a préféré les ignorer. Le plus probablement, son refus s’expliquait par la position des élites politiques proches de lui qui n’étaient pas intéressées à des changements quelconques. On ne peut pas appeler la déposition d’el-Béchir comme une révolution, a noté l’expert. Au Soudan, on a mis en scène le « scenario africain classique ». Les militaires, ne trouvant pas d’autre moyen de prévenir un collapse politique, ont renversé le président et ont pris la responsabilité pour la mise en place des réformes.
Parmi les acteurs intérieurs dont l’activité a influencé l’incitation du conflit, le consultant politique a noté un groupe d’hommes d’affaires liés au commerce du blé et à la production du pain.
Les jeunes jouent un rôle important dans les manifestations locales. Pour les jeunes, participer à des confrontations dans les rues est une source de « drive », a expliqué l’expert. Le fond émotionnel élevé permet de baisser le niveau de perception des jeunes leur donnant l’impression que prendre part dans les manifestations signifie exprimer leur volonté politique.
Mikhail Potepkine a également remarqué que l’absence d’organisations non-politiques pour la jeune génération avant le début de la crise avait facilité la manipulation des jeunes et la branche du « Congrès national » (le parti au pouvoir) avait prouvé son incompétence totale.
Parmi les forces extérieures ayant eu le plus grand impact sur le conflit, Mikhail Potepkine a distingué, d’un côté, les monarchies du golfe Persique (l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis) et de l’autre côté les puissances occidentales (les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France). Le consultant politique a indiqué qu’à l’intérieur de ce cercle de pays seuls l’Arabie Saoudite et les EAU étaient intéressés à stabiliser la situation politique au Soudan après le renversement d’Omar el-Béchir. La normalisation de la vie dans le pays d’après le « scenario égyptien » leur convient. D’autres acteurs soutiennent les démonstrations. Le Qatar, par exemple, compte appuyer ainsi le mouvement des Frères musulmans loyal à Doha.
L’expert a mentionné l’Association des professionnels soudanais en tant qu’un des « agents étrangers » les plus importants. Selon lui, la direction de l’association se compose majoritairement d’émigrants disposant de ressources financières importantes et réalisant avec succès le scenario de la révolution colorée au Soudan.
L’intérêt des pays occidentaux envers le Soudan, selon Mikhail Potepkine, s’explique par un nombre de facteurs. Khartoum collabore avec Moscou et Pékin. Sa politique extérieure reste traditionnellement multidimensionnelle et est en grande partie indépendante des États-Unis. Les États occidentaux sont eux-aussi intéressés à exercer le contrôle sur le point logistique important sur le territoire de la république : Port-Soudan joue un rôle important dans le commerce international. En outre, le contrôle de la situation au Soudan permet d’influencer également l’état des choses à l’intérieur des pays voisins, notamment la Lybie, l’Égypte et la RCA. Il est à ne pas oublier qu’actuellement les entreprises américaines ne sont pas représentées sur le marché assez riche de produits minéraux soudanais. Finalement, il faut se rappeler le conflit entre le Soudan et Omar el-Béchir qui a eu lieu lors du mandat de ce dernier.
En évaluant la position du Conseil militaire de transition, Mikhaïl Potepkine a remarqué que celui-ci était fortement influencé de l’extérieur. Ainsi, l’adhésion du Soudan a l’Union Africaine a été suspendue. On essaye d’élargir les pouvoirs de la mission des Nations Unies au Darfour, étendant la zone de sa juridiction sur l’ensemble du Soudan (il importe de souligner que dans ce cas il s’agit de plus de 5 000 pacificateurs dont le nombre pourrait être augmente jusqu’à 15 000).
Le consultant politique a aussi bien attiré l’attention à la manipulation autour des confortements entre les manifestants et les forces de l’ordre qui ont eu lieu le 3 juin. Les médias occidentaux ont commencé à diffuser des informations ou l’on affirmait que les affrontements avaient fait plus de 100 morts. Pourtant, tous les témoins confirment que les forces de l’ordre n’ont pas utilisé d’armes de guerre à l’égard des participants du sit-in. Lors des affrontements, des moyens de contrainte ont été utilisées, mais ils n’auraient pas pu faire autant de victimes. De même, l’expert a noté, on ignore le fait que la veille et pendant le conflit les membres des forces de l’ordre ont été attaqués eux-aussi et que le camp de l’opposition était juxtaposé au quartier de bidonville ou des bandes armées détenaient le pouvoir sur la quasi-totalité du territoire. Ce sont justement les tentatives des bandits persécutés par la police de se cacher au milieu des manifestants qui ont entrainé le conflit. Il est curieux que l’opération « Les rues propres » organisée par les forces de l’ordre était censée, entre autres, d’assurer la sécurité des manifestants qui avaient été à plusieurs reprises attaqués par les bandits du bidonville.
Pour ceux qui désirent prendre connaissance en détails avec la situation au Soudan, Aleksandr Malkevitch a suggéré de consulter les matériaux du rapport de la Fondation pour la défense des valeurs nationales publiés en partie sue le site web de la Fondation.
Serguei Kostelianets a noté le problème d’interconnexion entre le développement d’Internet et la croissance du potentiel d’organisation des révolutions colorées. Au Soudan, de même qu’en Égypte voisin, le niveau de pénétration d’Internet a atteint 30% de la population. Ce qui a facilité aux organisateurs et sponsors des manifestations la diffusion des informations, la mobilisation des partisans et leur coordination. Dans plusieurs pays de la région, le niveau de pénétration d’Internet est considérablement plus bas, ce qui diminue le risque d’apparition de foyers des révolutions colorées. Cependant, les besoins du développement économique et social exigent des élites locales leur soutien de l’augmentation du niveau de pénétration d’Internet dans le pays. Par conséquent, l’establishment local s’est retrouvé devant un choix difficile.
Le politologue Serguei Markov a attiré l’attention au potentiel de la Fondation pour la défense des valeurs nationales et celui du Club africain de discussion du point de vue de la croissance de la « force douce » de la Russie dans la région. D’après lui, dans leur expansion en Afrique les États-Unis s’appuient sur le potentiel des corporations transcontinentales, leur puissance militaire et la force douce, c’est-à-dire leur culture populaire et leur système des valeurs. La Chine compte uniquement sur les ressources gigantesques de ses entreprises nationales. Si la politique extérieure russe obtient un troisième pilier en forme de la force douce, cela pourrait renforcer considérablement les positions de la Fédération de Russie sue le continent africain. L’activité du Club africain de discussion crée des conditions propices à la réalisation de ce potentiel.
En dressant le bilan de la réunion, ses participants ont apprécié l’idée de l’ambassadeur-adjoint soudanais pour les questions économiques Omer Elfaroug Kamil d’inviter les ambassadeurs de The Intergovernmental Authority on Development (IGAD) aux prochaines rencontres du Club. IGAD est un bloc de l’économie et du commerce unissant 8 États : Éthiopie, Djibouti, Soudan, Soudan du Sud, Somali, Érythrée, Kenya et Ouganda.